Contrat de voyage : force majeure et remboursement des frais en cas de décès du voyageur (Cour de Cassation 2016)

Réf : 31039

Résumé en français

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Casablanca qui avait débouté un couple de sa demande de remboursement suite au décès de leur fils, inscrit pour un pèlerinage organisé par une agence de voyages.
Les demandeurs avaient contracté avec l’agence pour le pèlerinage de leur fils. Ce dernier étant décédé avant le départ, ils ont sollicité le remboursement des frais engagés. L’agence a refusé, arguant que les conditions générales du contrat ne prévoyaient pas de remboursement en cas de décès.
La Cour d’appel a confirmé la décision, estimant que le contrat constitue la loi des parties et que, faute de clause prévoyant le remboursement en cas de décès, la demande était mal fondée.
La Cour de cassation a censuré cette décision, considérant que la Cour d’appel avait violé les articles 345 et 359 du Code de procédure civile et les articles 338 et 70 du Dahir des obligations et contrats (DOC).
La Cour de cassation a rappelé que l’article 338 du DOC prévoit la résolution du contrat en cas d’inexécution due à une cause étrangère à la volonté des parties, sans faute du débiteur. En l’espèce, le décès du fils constituait une cause étrangère à la volonté des parties, rendant impossible son pèlerinage.
La Cour a également souligné que l’article 70 du DOC prévoit la restitution des prestations en cas de résolution du contrat pour une cause non imputable au créancier. Par conséquent, le couple était en droit de demander le remboursement des frais engagés.
Par conséquent la Cour de cassation a ordonné la cassation de l’arrêt.

Document PDF

Version française de la décision

Après délibéré conformément à la loi,

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et de l’arrêt attaqué que, le 18 septembre 2008, Monsieur R. Bouchâib et Madame Khadija A. ont saisi le tribunal de commerce de Casablanca d’une demande en justice, exposant que la défenderesse, « Agence de Voyages A. », avait été chargée d’organiser le pèlerinage pour lui-même et certains membres de sa famille, à savoir ses deux enfants, Aïcha R. et son gendre, Moustapha M., et que les frais du pèlerinage avaient été fixés à 52 000 dirhams par personne, conformément au contrat d’engagement. Il avait payé les frais du pèlerinage pour lui-même et pour son fils, R. Amine, mais ce dernier était décédé des suites d’un accident de la route le 28 novembre 2007, comme en attestent le procès-verbal de la police judiciaire et le certificat de décès.

Le demandeur avait informé l’agence de voyages du décès et lui avait demandé de rembourser les frais de pèlerinage de son fils, mais sa demande était restée sans réponse. L’agence avait ensuite contacté sa fille, R. Aïcha, et lui avait remis la somme de 11 000 dirhams, représentant le billet d’avion de son fils décédé. Il a donc demandé au tribunal de condamner l’Agence de Voyages A. à lui payer la somme de 41 000 dirhams, représentant le solde de la dette due, ainsi que les intérêts légaux à compter de la date du décès de son fils, soit le 22 novembre 2007, jusqu’à l’exécution, et la somme de 4 000 dirhams à titre de dommages et intérêts, et de la condamner aux dépens.

Après la réponse de la défenderesse, la réalisation d’une enquête et l’accomplissement des procédures, le tribunal de commerce de Casablanca a rejeté la demande par un jugement confirmé par la Cour d’appel de commerce par l’arrêt attaqué.

Sur le premier moyen :

Les demandeurs reprochent à l’arrêt d’avoir violé les dispositions des articles 345 et 359 du Code de procédure civile et des articles 338 et 70 du Dahir formant code des obligations et contrats (DOC), d’avoir insuffisamment motivé sa décision, d’avoir statué sans fondement légal et d’avoir violé la loi.

Ils soutiennent que la Cour d’appel a écarté l’application des dispositions de l’article 338 du DOC, alors que le contrat liant les parties n’organisait pas les modalités de restitution du prix en cas de décès, ce qui imposait l’application des règles générales. Ils ajoutent que la défenderesse n’a pas répondu à leur argumentation relative à l’application de l’article 70 du DOC, malgré sa formulation explicite dans leurs conclusions d’appel, où ils affirmaient que l’article 338 du DOC dispose que « si l’inexécution de l’obligation est due à une cause étrangère à la volonté des contractants et sans que le débiteur soit en demeure, ce dernier est libéré de son obligation ». Ils ont soutenu que l’absence de leur fils au pèlerinage n’était pas volontaire, mais résultait de son décès survenu avant celui-ci, des suites d’un accident de la route, le 28 novembre 2007, cause étrangère à sa volonté empêchant l’application des dispositions de l’article 230 du DOC. Ils ont fait valoir que l’article 338 du même code était celui qui devait être appliqué, et que l’article 70 du même code leur donnait le droit de recouvrer ce qu’ils avaient payé pour une cause qui ne s’était pas réalisée, ce qui était le cas de leur fils, décédé avant le pèlerinage pour une cause étrangère à sa volonté. Malgré leurs arguments, la Cour d’appel n’a pas répondu à ce moyen, ni positivement ni négativement, de sorte que son arrêt a violé les dispositions légales susmentionnées et est entaché d’une motivation insuffisante et d’un défaut de motivation, ce qui le rend susceptible de cassation.

La Cour d’appel a motivé sa décision de rejeter l’application des dispositions de l’article 338 du DOC en ces termes : « Considérant que les dispositions de l’article 338 du DOC ne sont pas applicables en l’espèce, dès lors que les parties peuvent convenir des conditions du contrat conformément à l’article 230 du DOC, qui dispose que les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être annulées que par leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi ». Si les parties au contrat ont organisé les cas de restitution du prix du voyage, c’était à l’occasion de l’annulation du voyage par les voyageurs, c’est-à-dire dans le cas où l’annulation est volontaire. En l’espèce, l’annulation a résulté de l’impossibilité d’exécution due au décès du voyageur, que l’arrêt attaqué a considéré comme un cas non prévu par le contrat d’engagement liant les parties. La cour est donc tenue, dans ce cas, de se conformer à la loi, et notamment à l’article 338 du DOC, qui dispose que « si l’inexécution de l’obligation est due à une cause étrangère à la volonté des contractants, et sans que le débiteur soit en demeure, ce dernier est libéré de son obligation. Toutefois, il n’a pas le droit de réclamer ce qui était dû par l’autre partie. Si l’autre partie a déjà exécuté son obligation, elle a le droit de réclamer la restitution de ce qu’elle a payé, en tout ou en partie, selon le cas, en raison de son caractère indu ». L’arrêt attaqué, qui a statué en sens contraire, est insuffisamment motivé et susceptible de cassation.

Considérant que le bon déroulement de la justice et l’intérêt des parties exigent le renvoi de l’affaire devant la même cour.

Par ces motifs,

La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire devant la même cour, composée d’une autre formation, pour qu’elle soit jugée à nouveau conformément à la loi, et condamne la défenderesse aux dépens.

Quelques décisions du même thème : Civil