LES FAITS
Vu la requête introductive d’instance enregistrée au greffe de ce tribunal en date du 07/03/2024 et les droits judiciaires y afférents acquittés, par laquelle le demandeur, représenté par son mandataire, expose qu’il exerçait la fonction de conseiller commercial en vertu d’un contrat dont la signature a été légalisée le 16 octobre 2018 avec la défenderesse, laquelle y a mis fin le 10 mai 2022, comme l’atteste le certificat de travail. Il déclare avoir appris, par l’intermédiaire d’un client, que la défenderesse exploitait son image et ses données personnelles sur son compte Facebook et qu’il a fait dresser, à ce sujet, un procès-verbal de constat le 19 juillet 2022 par l’huissier de justice (M), lequel a procédé au relevé du contenu de ce compte, faisant apparaître la photographie du demandeur, son nom, sa fonction, son numéro de téléphone personnel ainsi que son adresse électronique, et ce, depuis le 10 octobre 2019. Il estime que la défenderesse a ainsi exploité ses données personnelles en l’absence de toute convention ou clause l’y autorisant et que ce comportement lui a causé divers préjudices matériels et moraux. En effet, après la rupture du contrat et son embauche en tant que conseiller commercial auprès de la société (B), cette dernière l’aurait licencié dès qu’elle eut connaissance, du fait d’appels répétés de clients en assurance, qu’il travaillait pour la société (Z) en méconnaissance du contrat le liant à (B), considérant ce fait comme une faute grave justifiant son licenciement. Il aurait ainsi perdu le salaire qu’il percevait, d’un montant de 6 000,00 dirhams, de sorte que le préjudice subi consiste, selon lui, en un gain manqué. Il soutient que la défenderesse a réalisé des bénéfices grâce à l’exploitation de sa photographie et de ses données personnelles, s’enrichissant illicitement au détriment de sa réputation dans le domaine de l’assurance. Après avoir mis la défenderesse en demeure de l’indemniser pour le gain manqué et les préjudices moral et matériel, sans succès, il sollicite à titre principal la condamnation de la défenderesse au paiement de 200 000,00 dirhams à titre de dommages-intérêts, outre les dépens et les intérêts légaux à compter de la date de la demande, ainsi que la suppression de sa photographie et de ses données personnelles du compte Facebook de la défenderesse, sous astreinte de 500 dirhams par jour de retard, avec exécution provisoire nonobstant tout recours. À titre subsidiaire, il demande une expertise pour déterminer l’étendue du préjudice moral et matériel qu’il a subi, les revenus et les bénéfices réalisés par la défenderesse, ainsi que son gain manqué depuis la publication de sa photographie et de ses données personnelles jusqu’à la cessation effective du dommage, tout en se réservant la faculté de répliquer. Il verse au dossier le procès-verbal de constat, une lettre de mise en demeure, une copie du contrat de travail, un certificat de travail, la lettre de licenciement et une copie de sa carte de visite.
Vu le mémoire en défense déposé par le mandataire de la défenderesse à l’audience du 09/04/2024, qui fait valoir que le demandeur avait conclu avec elle un contrat de travail à durée indéterminée, daté du 22/10/2018, pour occuper la fonction de conseiller commercial, avec, aux termes de la clause n° 06, une période d’essai de trois mois renouvelable. Le 18/01/2019, la période d’essai a été prorogée de trois mois, allant jusqu’au 19/04/2019, avant que le demandeur ne soit confirmé dans son poste à cette date. Par la suite, le 10/05/2022, dans le cadre d’une restructuration, la défenderesse a supprimé l’emploi occupé par le demandeur, lequel a engagé à son encontre une action en dommages-intérêts pour licenciement abusif devant le Tribunal de première instance social de Casablanca, obtenant, le 06/07/2022, un jugement rendu sous le n° 6064 dans le dossier relatif aux litiges du travail n° 2022/1501/5667, condamnant la défenderesse, en la personne de son représentant légal, à lui verser une indemnité globale de 79 975,75 dirhams pour licenciement, dommages et avertissement, avec délivrance d’un certificat de travail et exécution provisoire limitée à la délivrance du certificat de travail. En exécution de ce jugement, les parties ont conclu, le 12/05/2022, une convention de résiliation du contrat de travail assortie d’une transaction et d’une quittance, par laquelle la défenderesse a exécuté les termes de ce jugement. Par ailleurs, la défenderesse souligne que la société (B), présentée par le demandeur comme son nouvel employeur, appartiendrait à un proche parent du demandeur, portant le même nom et le même patronyme, comme en atteste le modèle « J » produit, mentionnant que M. (H) en est l’associé unique. Le demandeur continuerait d’y exercer jusqu’à ce jour, comme l’atteste le site de présentation des personnes travaillant pour diverses sociétés L, de sorte que le dommage invoqué, prétendument lié à l’utilisation de sa photographie et de ses données personnelles, serait purement fictif et dénué de tout fondement en fait et en droit. Enfin, elle soutient que, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, il était parfaitement informé, dès lors que la nature même de son contrat de travail supposait qu’en sa qualité de conseiller commercial, son identité et sa photographie soient présentées sur le site de la société afin que la clientèle et les tiers puissent l’identifier. Dans le cadre de ses démarches promotionnelles, la défenderesse avait ainsi demandé à plusieurs de ses conseillers commerciaux, dont le demandeur, de lui fournir des photographies d’identité et des cartes de visite. Il en ressort, selon elle, que le demandeur avait connaissance de cette mise en ligne, y ayant lui-même consenti, comme l’établissent la correspondance électronique du 11/04/2019 et celle, datée du 16/11/2019, envoyée par le responsable hiérarchique direct du demandeur, ainsi que l’adresse électronique de ce dernier (emailxxx), datée du 16/04/2019. Ainsi, l’insertion de sa photographie sur la page Facebook de la défenderesse, en tant que conseiller commercial parmi d’autres, s’est faite avec son accord et en toute liberté, comme l’atteste son silence et l’absence de toute contestation pendant près de cinq ans, ce qui vaut approbation. La défenderesse conclut donc à l’irrecevabilité de l’action en la forme et, sur le fond, à ce que les allégations du demandeur soient écartées et que sa demande soit rejetée, tout en réservant son droit de poursuivre le demandeur pour abus du droit d’ester en justice, aux frais de ce dernier. Elle produit à l’appui de ses écritures : une copie du contrat de travail, une copie du renouvellement dudit contrat, une copie du jugement, une copie de la convention transactionnelle, une copie du modèle « J », ainsi que deux copies de correspondances électroniques.
Vu le mémoire en réplique déposé par le mandataire du demandeur à l’audience du 16/04/2024, qui fait valoir qu’il y a lieu de distinguer la qualité d’annonceur publicitaire de celle de conseiller commercial, le contrat qui liait le demandeur à la défenderesse étant un contrat de travail et non un contrat de publicité. Ledit contrat ne comporte aucune clause stipulant expressément et par écrit l’autorisation d’exploiter la photographie et les données personnelles du demandeur sur la page Facebook de la défenderesse ou tout autre moyen électronique. Quant au courrier électronique daté du 16/04/2019, il s’agissait selon lui de compléter son dossier administratif et d’obtenir la carte professionnelle nécessaire à l’exercice de ses fonctions en tant que conseiller commercial officiel de la société, au terme de sa période d’essai (qui arrivait à expiration trois jours plus tard). Or, c’est l’usage ultérieur de cette photographie, sans accord exprès ni discussion préalable, qui caractérise l’exploitation publicitaire litigieuse, aucune convention prévoyant les conditions, notamment financières, de cette publicité, sa durée, les modalités de sa résiliation ou de son renouvellement, n’ayant été conclue, alors même que la défenderesse est une société commerciale internationale concluant des contrats publicitaires pour des montants considérables avec des entreprises et des personnalités médiatiques. En outre, la relation de travail avec la défenderesse ayant pris fin le 10 mai 2022, comme l’indique le certificat de travail, et le procès-verbal de constat ayant été établi par l’huissier de justice le 19 juillet 2022, soit plus de deux mois après cette rupture, la défenderesse utilisait la photographie et les données personnelles d’un tiers qui ne présentait plus aucun lien, ni direct ni indirect, avec elle. Le demandeur conclut à l’irrecevabilité des moyens de défense de la partie défenderesse, les estimant dénués de tout fondement juridique ou factuel, et sollicite un jugement en conformité avec sa requête introductive.
Vu le mémoire déposé par le mandataire de la défenderesse à l’audience du 16/04/2024, qui reprend ses moyens et conclusions antérieurs.
Vu l’inscription de l’affaire, enfin, à l’audience du 23/04/2024, en présence des avocats des deux parties ; le mandataire de la défenderesse produisant un mémoire communiqué à l’avocat présent de la partie adverse, le tribunal a déclaré l’affaire en état et l’a mise en délibéré à l’audience du 30/04/2024.
EN LA FORME :
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu que la requête introductive d’instance a été présentée conformément aux exigences légales de forme et que les droits judiciaires y afférents ont été acquittés, de sorte qu’il y a lieu de déclarer la demande recevable en la forme.
AU FOND :
Attendu que l’objet de la demande est de condamner la défenderesse à verser au demandeur la somme de 200 000,00 dirhams à titre de dommages-intérêts, outre les dépens et les intérêts légaux à compter de la date de la demande, ainsi que d’ordonner la suppression de la photographie du demandeur et de ses données personnelles du compte Facebook de la défenderesse, sous astreinte de 500 dirhams par jour de retard, avec exécution provisoire nonobstant tout recours, et, à titre subsidiaire, de procéder à une expertise pour évaluer le préjudice moral et matériel subi, déterminer les revenus et bénéfices engrangés par la défenderesse, ainsi que le gain manqué, depuis la publication de la photographie et des données personnelles du demandeur jusqu’à l’exécution effective de la cessation du dommage.
Attendu que le demandeur fonde sa demande sur le préjudice qu’il aurait subi du fait de la publication par la défenderesse, à des fins publicitaires, de ses données personnelles, accompagnées de sa photographie, sur le réseau social Facebook.
Attendu que la défenderesse s’oppose à la demande en soutenant que le demandeur exerçait la fonction de conseiller commercial du 22/10/2018 au 10/05/2022 et que, par nature, le contrat le liant à la défenderesse impliquait la mise en ligne de son identité et de sa photographie sur le site de la société, pour permettre aux clients de l’identifier, la défenderesse ayant d’ailleurs sollicité, dès le 11/04/2019, les photographies de ses conseillers commerciaux, et le demandeur lui-même ayant communiqué la sienne.
Et attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de constat établi le 19/07/2022 par l’huissier de justice (M), que la défenderesse a utilisé la photographie du demandeur et ses données personnelles via la plateforme de communication sociale « Facebook » afin de promouvoir ses services auprès de la clientèle ; qu’elle a continué à exploiter la photographie du demandeur et son numéro de téléphone personnel à des fins de publicité et de profit matériel, causant ainsi un préjudice au demandeur, lequel a été licencié par sa nouvelle employeuse, la société (P B I), comme en atteste la lettre de licenciement en date du 25/07/2022, invoquant le fait qu’il travaillait pour une autre société (la société d’assurance (Z)) durant l’exécution de son contrat de travail avec (P B I), ainsi qu’il ressort de la lettre de licenciement produite au dossier ; ce qui équivaut à l’obtention d’un avantage financier au détriment du demandeur et à un appauvrissement de ce dernier. Par conséquent, en application des articles 66 et 67 du Dahir formant Code des obligations et contrats, le demandeur est fondé à réclamer une indemnisation pour l’utilisation de son image dans la publicité au profit de la défenderesse (voir à cet égard l’arrêt de la Cour de cassation – anciennement Cour suprême – n° 813 du 18/07/2007, rendu dans l’affaire commerciale n° 2005/1/3/490, qui énonce : « Et si, parmi les conditions de l’enrichissement sans cause, figure l’existence d’un enrichissement corrélé à un appauvrissement, encore faut-il que cet enrichissement soit dépourvu de cause ; or la notion d’appauvrissement ne se limite pas à la perte d’un droit, mais peut également se rencontrer sous une forme négative, lorsqu’est manqué un bénéfice légitime auquel le dépouillé aurait pu prétendre. »).
Attendu par ailleurs que le droit à l’image relève des droits de la personnalité, intimement liés à la personne et ne relevant pas du droit de propriété, qu’il s’agit d’un droit personnel qui naît avec la personne et qu’il ne peut y être porté atteinte ou y être disposé qu’avec l’autorisation explicite et écrite de cette dernière, et qu’il est de règle qu’en cas de publication de l’image d’autrui sans son consentement, la réparation du préjudice en résultant soit due, comme l’établit l’arrêt de la Cour de cassation en date du 28/06/2011, n° 3127, dans l’affaire n° 2006/9/1/2775, publié dans la Revue des juridictions marocaines, n° 142, p. 139 et s., et qu’en l’espèce, dès lors que le demandeur établit qu’il est fondé à être indemnisé pour l’usage de son image et de ses données personnelles, et en l’absence de tout accord entre les parties quant à l’utilisation de son image et de ses données personnelles, tenant compte du fait que ladite image et ces données ont été exploitées à des fins publicitaires par la défenderesse depuis le 10 octobre 2019, et de l’étendue de la diffusion, et qu’il suffit, pour donner lieu à indemnisation, de constater que la publication de la photographie d’une personne s’est faite sans autorisation de celle-ci, il existe bien, dès lors que la faute, le préjudice moral et le lien de causalité sont établis, fondement à indemnisation en vertu de l’article 264 du Dahir formant Code des obligations et contrats. Qu’en exerçant son pouvoir d’appréciation, le tribunal fixe le montant de l’indemnité à la somme de 30 000,00 dirhams.
Et attendu que la demande tendant à la suppression de la photographie du demandeur et de ses données personnelles est justifiée, le droit à l’image étant un droit de la personnalité soumis à la volonté de la personne dont l’image est utilisée, ce qui entraîne l’obligation de faire droit à cette demande, sous astreinte, laquelle est fixée par le tribunal à 500 dirhams par jour de retard à compter de la signification du jugement.
Attendu que les autres prétentions doivent être rejetées.
Attendu que l’exécution provisoire n’est pas justifiée, les éléments de l’article 147 du Code de procédure civile n’étant pas réunis, ce dont il résulte qu’il y a lieu de la rejeter.
Attendu enfin qu’en vertu de l’article 124 du Code de procédure civile, la partie succombante supporte les dépens.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, à titre de premier ressort et en présence des parties :
En la forme :
Déclare la demande recevable.
Au fond :
Condamne la défenderesse, la société (Z), prise en la personne de son représentant légal, à payer au demandeur, M. (A), la somme de trente mille dirhams (30 000,00 dirhams) à titre de dommages-intérêts.
Ordonne à la défenderesse de procéder au retrait de la photographie du demandeur et de ses données personnelles, sous astreinte de 500 dirhams par jour de retard à compter de la signification du présent jugement.
Met les dépens à la charge de la défenderesse.
Rejette le surplus des prétentions.
Ainsi jugé et prononcé le jour, mois et an susmentionnés.