Sentence arbitrale et dépassement de mission : L’allocation d’intérêts légaux non demandés justifie l’annulation partielle de la sentence (CA. com. 2022)

Réf : 36497

Résumé en français

Saisie d’un recours en annulation formé contre une sentence arbitrale rendue à l’occasion d’un litige né d’un contrat de construction, la Cour d’appel de commerce de Casablanca précise l’étendue et les limites de son contrôle, ainsi que la portée des moyens pouvant être invoqués, notamment au regard de la motivation de la sentence, du respect du contradictoire et du dépassement éventuel de la mission arbitrale.

  1. Sur le défaut de motivation de l’indemnité

La requérante reprochait à la sentence arbitrale de n’avoir pas suffisamment exposé les critères précis ni les documents ayant fondé l’évaluation de l’indemnité accordée. La Cour rappelle que son contrôle, conformément à l’article 327-36 du Code de procédure civile, est strictement limité aux motifs d’annulation expressément énoncés par la loi, à l’exclusion d’une révision du bien-fondé de la décision arbitrale. Elle constate en l’espèce que les arbitres ont effectivement justifié leur décision en analysant les efforts consentis par la défenderesse, les coûts supportés, ainsi que les circonstances globales ayant mené à l’échec du projet. Dès lors, la Cour rejette ce moyen, précisant qu’elle ne saurait contrôler que l’existence formelle d’une motivation et non en apprécier la pertinence ou l’adéquation.

  1. Sur la violation du principe du contradictoire

La requérante alléguait une atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense, résultant de la convocation par les arbitres de la société mère de la défenderesse, tout en omettant celle de sa propre société mère. La Cour écarte ce grief en relevant qu’aucune prétention spécifique n’avait été dirigée à l’encontre de cette dernière société. Elle souligne qu’en l’absence de demandes formulées contre une partie, les arbitres n’étaient nullement tenus de la convoquer ou de la mettre en cause, ajoutant qu’une partie ne saurait valablement présenter des prétentions au nom d’un tiers sans disposer d’un mandat à cet effet.

  1. Sur le dépassement de mission (ultra petita)

La requérante faisait valoir que les arbitres avaient outrepassé leur mission en la condamnant au paiement d’intérêts légaux non sollicités par la défenderesse. Après examen des demandes reconventionnelles formulées devant le tribunal arbitral, la Cour relève effectivement l’absence de toute demande expresse relative aux intérêts légaux. Elle juge donc fondé ce grief, estimant que les arbitres ont statué au-delà des limites fixées par leur mission.

En conséquence, la Cour d’appel de commerce de Casablanca accueille uniquement le moyen tiré de l’ultra petita. Elle annule ainsi partiellement la sentence arbitrale dans sa seule disposition relative aux intérêts légaux et rejette le recours pour les autres motifs invoqués. En application de l’article 327-38 du Code de procédure civile, elle ordonne l’exécution de la sentence arbitrale pour toutes ses autres dispositions.

Texte intégral

(…)

محكمة الاستئناف

حيث انه بخصوص ما تنعاه الطاعنة على الحكم التحكيمي من عدم تبرير مبلغ التعويض المحكوم به، اذ ان الهيئة التحكيمية لم تبين المعايير التي اعتمدتها من اجل الوصول الى المبلغ المحكوم به، كما لم تبين الوثائق المعتمد عليها في تحديده، فان محكمة الاستئناف عند البت في الطعن بالبطلان ينحصر نظرها في الاسباب المذكورة على سبيل الحصر في الفصل 36-327 من ق م م، ولا يتعداه الى مراقبة الحل الذي اتخذته الهيئة وسلامته، وان الثابت من الحكم التحكيمي في فقرته 220 انه حدد التعويض بناء على الاجتهاد الذي بذلته المطلوبة في جميع مراحل المشروع سواء خلال مرحلة التفاوض عليه او مرحلة التنفيذ الاولى والتكاليف التي تكبدتها، اخدة بعين الاعتبار سعر الصفقة التي كانت مستعدة لادائها، بعد اجتماع مجلس الادارة في 2018/10/18 ورغبة الطالبة بعد توقيع عقد البناء في تحسين .العناصر التقنية للمشروع بعد ان ادركت باعترافها انها قد وقعت على عقد فاسد وان المشروع ولد متيا.

وحيث انه بخصوص ما اثارته الطاعنة من دفع بعدم احترام مبدأ التواجهية وحق الدفاع بدعوى انها التمست ادخال الشركة الام لها (B.) والشركة الام للمطلوبة (H.) ، وان الهيئة التحكيمية قامت باستدعاء شركة (B.) دون شركة (H.) ، فان الثابت من الحكم التحكيمي انه لئن كانت المحكمة المغربية للتحكيم قامت باستدعاء الشركة الاولى « (B.) » قصد مطالبتها بتحديد موقفها من الطلبات الموجهة لها، فانها لم تكن ملزمة بتوجيه اي كتاب لشركة (H.) ، مادام لم يتم تقديم ي طلبات في مواجهتها ، وانه لا يمكن لطرف ان يتقدم بطلبات لفائدة شخص اخر ليس طرفا في المسطرة دون التوفر على توكيل للتصرف باسمه، مما لا محل معه للدفع بخرق حقوق الدفاع ومبدأ التواجهية.

وحيث انه بخصوص ما تدفع به الطاعنة من بث الهيئة التحكيمية دون التقيد بالمهمة المسندة اليها، اذ انها لما قضت عليها بالفوائد القانونية من تاريخ تبليغ الحكم التحكيمي فانها قضت بما لم يطلب منها، فانها بالرجوع الى الحكم التحكيمي، فان الهيئة التحكيمية صرحت باختصاصها للبت في الطلبات المضادة المقدمة من طرف المطلوبة والمتمثلة في معاينة انتهاكات المدعية لالتزامها التعاقدي الوارد في عقد البناء ومعاينة سوء نية شركة (L.) في تنفيذ التزاماتها التعاقدية والاحتيال والتصريح بالفسخ النهائي لعقد البناء نتيجة خطأ المدعية، والحكم على شركة (L.) بدفع تعويضات ناتجة عن الانتهاكات التعاقدية التي تمت معاينتها، كتعويض عن الاضرار التي تكبدتها بما في ذلك الخسارة الفعلية التي تكبدتها (M.) والربح الضائع، بمبلغ اجمالي قدره 16.950.218,33 درهما.

وحيث يستفاد من الطلبات المذكورة ان المطلوبة لم تطالب الحكم لها بالفوائد القانونية، وان الهيئة التحكيمية لما قضت بها فانها لم تتقيد بالمهمة المسندة اليها، مما يتعين معه التصريح ببطلان الحكم التحكيمي جزئيا فيما قضى به من فوائد قانونية ورفض طلب الطعن بالبطلان في باقي اجزائه والامر بتنفيذه طبقا لمقتضيات الفصل 38-327 من ق م م.

لهذه الأسباب

تصرح محكمة الاستئناف التجارية بالدار البيضاء وهي تبت انتهائيا علنيا وحضوريا

في الشكل : قبول الطعن بالبطلان

و في الموضوع : ببطلان الحكم التحكيمي في الجزء القاضي بالفوائد القانونية و رفض الطلب بخصوص باقي اجزائه مع إبقاء الصائر على الطالبة و الامر بتنفيذ الحكم التحكيمي الصادر بتاريخ 2021/9/3 عن المحكمة المغربية للتحكيم غرفة التجارة الدولية المقرب عن هيئة التحكيم المكونة من الاساتذة حميد (أ.) و عبد العزيز (ع.) و طارق (م.) في باقي الاجزاء الخاضعة للتحكيم.

وبهذا صدر القرار في اليوم والشهر والسنة أعلاه بنفس الهيئة التي شاركت في المناقشة.

Version française de la décision

Cour d’appel

Attendu, concernant le grief formulé par la requérante à l’encontre de la sentence arbitrale relatif à l’absence de justification du montant de l’indemnité allouée, que le tribunal arbitral n’aurait ni précisé les critères retenus pour déterminer ce montant, ni indiqué les documents sur lesquels il s’est fondé pour le fixer ; que la Cour d’appel, saisie d’un recours en annulation, est strictement limitée, dans son examen, aux motifs énoncés exhaustivement par l’article 327-36 du Code de procédure civile, sans pouvoir étendre son contrôle à la solution adoptée par le tribunal arbitral ou à sa pertinence ; qu’il ressort explicitement du paragraphe 220 de la sentence arbitrale que l’indemnité litigieuse a été déterminée en considération des diligences effectuées par la défenderesse durant toutes les phases du projet, aussi bien lors des négociations initiales qu’au cours de la première phase d’exécution, ainsi qu’au regard des frais engagés par celle-ci, tout en tenant compte du prix de l’offre qu’elle était disposée à accepter après la réunion du conseil d’administration du 18/10/2018, et eu égard à la volonté de la requérante d’améliorer les aspects techniques du projet après la signature du contrat de construction, ayant admis elle-même que ledit contrat était vicié et que le projet s’était avéré dès son origine non viable ;

Attendu, quant au moyen invoqué par la requérante fondé sur la violation alléguée du principe du contradictoire et des droits de la défense, celle-ci soutenant avoir demandé l’intervention dans la procédure arbitrale de sa société mère (B.) et de la société mère de la défenderesse (H.), alors que le tribunal arbitral a procédé à la convocation de la société (B.) uniquement, en omettant celle de la société (H.) ; qu’il résulte toutefois de la sentence arbitrale que si la Cour marocaine d’arbitrage a effectivement convoqué la société (B.) afin qu’elle prenne position sur les demandes dirigées contre elle, elle n’était nullement tenue d’adresser une convocation à la société (H.), aucune prétention n’ayant été formulée à son encontre ; qu’au surplus, une partie ne saurait valablement présenter des demandes au nom et pour le compte d’un tiers qui n’est pas partie à la procédure sans justifier d’un mandat exprès ; que le grief tiré de la violation du contradictoire et des droits de la défense est dès lors dénué de fondement ;

Attendu, sur le moyen invoqué par la requérante relatif à l’excès de pouvoir commis par le tribunal arbitral en ayant statué en dehors des limites de sa mission, celle-ci soutenant que la sentence arbitrale lui imposait le paiement d’intérêts légaux à compter de la notification de la sentence, alors qu’aucune demande à ce titre n’avait été formulée à son encontre ; qu’il ressort effectivement de la sentence arbitrale que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes reconventionnelles présentées par la défenderesse, à savoir la constatation des manquements contractuels commis par la société demanderesse dans le cadre du contrat de construction, la mauvaise foi de la société (L.) dans l’exécution de ses obligations contractuelles, la fraude commise, la résiliation définitive du contrat de construction en raison de la faute de la demanderesse, et la condamnation de la société (L.) à verser des dommages-intérêts en réparation des préjudices subis, couvrant tant les pertes effectivement subies par la société (M.) que son manque à gagner, à concurrence d’un montant total de 16.950.218,33 dirhams ; que toutefois, ces demandes ne comportaient pas de prétention spécifique relative aux intérêts légaux ; qu’en statuant néanmoins sur ces intérêts légaux non sollicités, le tribunal arbitral a effectivement outrepassé les limites de la mission qui lui avait été confiée ; que ce motif justifie en conséquence la nullité partielle de la sentence arbitrale uniquement pour ce chef relatif aux intérêts légaux, et le rejet du recours pour le surplus, ainsi que l’ordre d’exécution conformément aux dispositions de l’article 327-38 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs,

La Cour d’appel de commerce de Casablanca, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

En la forme, déclare recevable le recours en annulation ;

Au fond, prononce la nullité partielle de la sentence arbitrale exclusivement dans sa disposition condamnant au paiement des intérêts légaux, rejette le recours pour tous ses autres chefs, condamne la requérante aux dépens et ordonne l’exécution de la sentence arbitrale rendue le 03/09/2021 par la Cour marocaine d’arbitrage relevant de la Chambre de commerce internationale, émanant du tribunal arbitral composé de Messieurs Hamid (A.), Abdelaziz (A.) et Tarik (M.), pour toutes les autres dispositions soumises à arbitrage.

Ainsi fait et prononcé aux jour, mois et an susvisés, par la même formation ayant participé aux débats.

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