Après en avoir délibéré conformément à la loi.
En la forme :
Considérant que la société (F), représentée par son avocat, a interjeté appel à l’encontre de Messieurs (W) Saïd et Mustapha (D), de la société (Y) Industrie Textile, par requête enregistrée et ayant fait l’objet du paiement des droits de timbre judiciaire en date du 24/07/2014, du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Casablanca sous le numéro 7767 en date du 05/05/2014 dans l’affaire numéro 19130/16/2012, ayant statué sur la demande principale en la rejetant avec maintien des dépens à la charge de la demanderesse, et sur la demande reconventionnelle présentée par la société (Y) Industrie Textile, en la forme, en la déclarant recevable, et au fond, en constatant la contrefaçon au préjudice de la société (F) et en la condamnant à cesser l’utilisation des dessins de la demanderesse sous astreinte de 5 000 dirhams par infraction constatée après la signification du jugement, et en lui ordonnant de verser à la demanderesse la somme de 25 000 dirhams à titre de dommages et intérêts, avec destruction des produits contrefaisants et mise des dépens à la charge de la partie défenderesse, et en rejetant le surplus des demandes.
Considérant que l’appel a été interjeté dans les formes et délais prescrits par la loi, qu’il y a lieu en conséquence de le déclarer recevable.
Au fond :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la société (F), représentée par son avocat, a saisi le Tribunal de commerce de Casablanca par requête introductive d’instance ayant fait l’objet du paiement des droits de timbre en date du 21/12/2012, exposant qu’elle est une société spécialisée dans la vente et la fabrication d’une gamme de produits de tissus utilisés dans l’ameublement, et que ces tissus portent des dessins distinctifs conformément à un modèle industriel déposé et enregistré à son profit auprès de l’Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale, et qu’elle a été informée que certains commerces vendent et exposent à la vente des produits portant des marques similaires et analogues à sa marque protégée par la loi, et que cela concerne le commerce de chacun des intimés premier et second, et qu’elle a obtenu une ordonnance de saisie-description détaillée qui a été exécutée par l’huissier de justice Maître Abdel Fattah Boumadian ; qu’elle demande en conséquence de constater que la partie défenderesse a, sans autorisation préalable de sa part, exposé et vendu des tissus portant des dessins contrefaisants et similaires à ses dessins, et de lui ordonner de cesser immédiatement d’exposer, de vendre et d’acheter tous les produits contrefaisants et imitant ses dessins, sous astreinte, et de détruire les produits contrefaisants qui ont été constatés par le procès-verbal de saisie-description, et de lui verser des dommages et intérêts d’un montant minimum de 25 000 dirhams, et de publier le jugement dans deux journaux, l’un en langue arabe et l’autre en langue française, avec mise des dépens à la charge de la partie défenderesse ; que la société (Y) Industrie Textile a présenté une requête tendant à l’intervention volontaire dans la procédure ayant fait l’objet du paiement des droits de timbre en date du 23/10/2013, exposant que l’enregistrement des dessins par la société (F) n’a d’autre but que de faire face aux dessins importés qui sont déjà enregistrés dans son pays d’origine, la Turquie, au nom de la requérante, avec un décalage de huit mois avant l’enregistrement de ces dessins au Maroc par la société (F), et qu’à l’appui de cela, la requérante produit deux certificats d’enregistrement des dessins litigieux à son nom en date du 10/02/2012, et qu’il ressort d’une comparaison entre les dessins des parties que les dessins et modèles de la société (F) ne sont qu’une reproduction des dessins enregistrés au nom de la requérante, et que la Convention de Genève Uniforme confère à l’enregistrement auprès de l’Office de la Propriété Industrielle de tout État signataire de la convention le caractère officiel des dessins et modèles dans tous les États signataires, parmi lesquels le Maroc et la Turquie ; qu’elle demande en conséquence de condamner la société (F) à cesser immédiatement d’utiliser les dessins contrefaisant ses dessins protégés, sous astreinte, et de détruire tous les produits contrefaisants imitant ses dessins, et de lui verser des dommages et intérêts d’un montant de 100 000 dirhams, avec exécution provisoire et mise des dépens à la charge de la partie adverse.
Considérant que le Tribunal de commerce de Casablanca a rendu le jugement susmentionné.
Considérant que les motifs d’appel de l’appelante sont que le jugement attaqué n’a accordé aucune valeur juridique à l’enregistrement de ses dessins par la requérante, appliquant de manière incorrecte les dispositions de l’article 106 de la loi numéro 17-97, qui est en réalité en faveur de la requérante, alors que l’article 112 de cette même loi est clair quant à la protection des dessins industriels déposés légalement auprès de l’Office Marocain de la Propriété Industrielle, et qu’il ressort des motifs du jugement attaqué une confusion manifeste entre les règles applicables aux marques et celles applicables aux dessins et modèles, puisqu’il a appliqué des règles qui s’appliquent aux marques et non aux dessins industriels, alors que ces derniers ont des règles spécifiques, et qu’il a justifié sa réponse favorable à la demande de l’intervenante volontaire en invoquant ce qui est prévu par la Convention de Paris, oubliant les dispositions de l’article 3 de la loi numéro 17-97, qui a pour but de protéger l’ordre public économique marocain, et ne le considérant pas comme une règle de police ou une règle d’application directe qui ne peut être supplantée par le droit international conventionnel, parce qu’il a répondu favorablement à la demande de l’intervenante sur la base de documents par lesquels elle prétend avoir effectué un dépôt auprès de l’office compétent en Turquie, sans produire aucun document attestant l’extension de cette protection sur le territoire marocain après avoir suivi les procédures prévues par la loi, sachant que l’intervenante n’est pas titulaire d’un dépôt international, mais d’un dépôt national concernant le territoire turc, sans produire ce qui atteste la réalisation du dépôt auprès de l’Office Marocain de la Propriété Industrielle, et que la requérante a produit en première instance le procès-verbal de saisie-description détaillé qui atteste la possession par les défendeurs de marchandises portant des dessins contrefaisant les dessins de la requérante déposés légalement, et qu’ils n’ont pas prouvé de manière concrète le fondement de leur possession de ces marchandises portant des dessins similaires à ses dessins, sachant qu’elle a prouvé la contrefaçon dont elle a été victime conformément aux dispositions de l’article 219 de la loi numéro 17-97, et que la réalité des faits est que le premier intimé acquiert les marchandises auprès du second intimé, qui les achète auprès de la société turque intervenante dans la procédure, et que la première victime de cette opération tripartite est la requérante, titulaire des dessins déposés légalement et protégés conformément à la législation marocaine ; qu’il est demandé en conséquence d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté la demande de la requérante, et, statuant à nouveau, de faire droit aux demandes de sa requête introductive d’instance, et de l’infirmer en ce qu’il a fait droit à la demande de l’intervenante dans la procédure, et, statuant à nouveau, de rejeter sa demande, et de mettre les dépens à la charge des intimés solidairement.
Considérant que l’avocat des intimés premier et second a produit un mémoire en réplique daté du 25/11/2014, exposant qu’il ressort du jugement attaqué que la société (Y) est titulaire des dessins et modèles dont l’appelante revendique la propriété, alors que la société turque (Y) a déposé les dessins susmentionnés en date du 10/02/2012, avant leur dépôt par l’appelante en date du 02/10/2012, avec un décalage d’environ huit mois, et que le jugement attaqué, en poursuivant son examen de ce point concernant l’antériorité de la société (Y), a motivé de manière saine et conforme aux pièces et preuves produites, et que le procès-verbal de nouveauté prévu à l’article 104 de la loi numéro 17-97, sur lequel l’appelante tente de se fonder, disparaît dès lors qu’il est prouvé que la société (Y) a été la première à effectuer les démarches de dépôt, et qu’en ce qui concerne l’article 3 de la même loi, les motifs du jugement attaqué sont cohérents à cet égard, ce qui exclut toute violation de cet article, étant donné que l’enregistrement du dessin ou modèle industriel dans un des pays de l’Union internationale pour la protection de la propriété industrielle suffit à assurer sa protection dans tous les pays contractants et membres de ladite union, parmi lesquels le Maroc et la Turquie ; qu’il est demandé en conséquence de confirmer le jugement de première instance et de mettre les dépens à la charge de l’appelante.
Considérant que l’avocate de la seconde intimée a produit un mémoire en réplique daté du 15/12/2014, exposant que l’appelante agit de mauvaise foi dans cette affaire en procédant en urgence à l’enregistrement des dessins qui sont la propriété de l’intimée et qui sont issus de ses créations, ce qui a été constaté par le jugement attaqué qui a motivé sa discussion de l’antériorité du droit de l’intimée de manière saine, et que l’élément de nouveauté prévu à l’article 104, sur lequel l’appelante tente de se fonder, disparaît dès lors qu’il est prouvé que l’intimée a été la première à effectuer les démarches de dépôt, et qu’il n’y a eu aucune violation des dispositions de l’article 3 de la même loi, étant donné que l’enregistrement du dessin ou modèle dans un des pays de l’Union internationale pour la protection de la propriété industrielle suffit à assurer sa protection dans tous les pays contractants et membres de ladite union, parmi lesquels le Maroc et la Turquie ; qu’il est demandé en conséquence de confirmer le jugement de première instance et de mettre les dépens à la charge de l’appelante.
Considérant que le Ministère Public a produit ses conclusions écrites datées du 16/12/2014 tendant à l’application de la loi.
Considérant qu’après l’inscription de l’affaire à l’audience du 03/02/2015, les avocats de l’appelante et des intimés premier et second ont comparu, tandis que l’avocate de la troisième intimée a fait défaut malgré la notification, et que l’affaire a été considérée comme en état d’être jugée et mise en délibéré pour l’audience du 17/03/2015, puis prorogée pour l’audience du 14/04/2015.
Motivation :
Considérant que l’appelante a maintenu les moyens d’appel exposés ci-dessus.
Considérant que l’appelante a soulevé le moyen selon lequel l’intervenante volontaire dans la procédure n’est pas titulaire d’un dépôt international de ses dessins industriels, mais que le dépôt de ces dessins qu’elle invoque est un dépôt national concernant le territoire turc, ce qui signifie que le tribunal a appliqué de manière incorrecte les dispositions de l’article 106 de la loi numéro 17-97 relative à la protection de la propriété industrielle.
Considérant que l’étendue territoriale du droit exclusif d’exploitation du dessin industriel est en principe limitée au pays dans lequel le certificat d’enregistrement a été délivré, en vertu du principe de territorialité des lois qui régit les lois à caractère national en général, de sorte que, conformément à ce principe, les dessins et modèles industriels enregistrés au Maroc confèrent à leurs titulaires un droit exclusif d’exploitation sur le territoire national uniquement, et que les dessins et modèles industriels enregistrés dans un pays étranger, bien que conférant les droits qu’ils impliquent dans ce pays, ne peuvent être invoqués au Maroc, sauf si le titulaire du certificat d’enregistrement a effectué la procédure d’enregistrement international des dessins et modèles industriels conformément aux dispositions de la Convention de Paris de 1883 relative à la protection de la propriété industrielle et du Traité de La Haye de 1925 qui a institué un système de dépôt international pour la protection des dessins et modèles industriels, permettant aux ressortissants des États membres du traité d’obtenir la protection de leurs droits dans tout autre État membre de l’Union internationale pour la protection de la propriété industrielle, étant donné que ce dépôt international dispense de tout dépôt dans un autre État dans lequel le bénéficiaire souhaite obtenir la protection, et qu’il est notoire que le Maroc a adhéré à ce traité en date du 13/09/1999 et que celui-ci a été publié au Journal Officiel sous le numéro 4896 en date du 03/05/2001.
Considérant qu’il ne suffit donc pas que l’intervenante volontaire dans la procédure produise un certificat d’enregistrement des dessins industriels qu’elle invoque auprès de l’autorité compétente en matière de propriété industrielle de son pays d’origine, à savoir la Turquie, pour se prévaloir de la priorité du droit exclusif d’exploitation de ces dessins en l’absence de la procédure d’enregistrement international susmentionnée visant à protéger les dessins et modèles industriels au niveau international.
Considérant que, dans ces conditions, l’appelante est en droit de protéger ses dessins industriels enregistrés auprès de l’Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale contre les actes de contrefaçon, par le biais d’une action en contrefaçon conformément aux dispositions de l’article 124 de la loi numéro 17-97 relative à la protection de la propriété industrielle, mais que l’examen des produits mentionnés dans le procès-verbal de saisie-description détaillé et de saisie produit dans la procédure révèle qu’ils ne portent pas de dessins reproduisant les dessins de l’appelante, que ce soit en totalité ou en partie, par l’utilisation du dessin lui-même en reproduisant des copies conformes, ce qui constitue la reproduction totale, ou par l’utilisation d’un dessin similaire en reproduisant les éléments essentiels de celui-ci et en les utilisant pour former un autre dessin, de manière à ce que la similitude entre les deux soit apparente, ce qui constitue la reproduction partielle.
Considérant que la contrefaçon alléguée concernant les dessins à l’encontre des intimés premier et second, en leur qualité de distributeurs de produits portant des dessins reproduisant ses dessins protégés, n’est pas établie en l’espèce en raison de l’absence de similitude ou d’analogie entre ces dessins et ceux qui ont été reproduits.
Considérant qu’il convient, compte tenu de ce qui précède, de considérer l’appel comme partiellement fondé, d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a statué sur la demande d’intervention volontaire dans la procédure et de statuer à nouveau en rejetant cette demande, et de le confirmer pour le surplus, mais avec d’autres motifs, et de mettre les dépens à la charge de l’intervenante volontaire dans la procédure.
Par ces motifs :
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
En la forme : Déclare l’appel recevable.
Au fond : Le déclare partiellement fondé, infirme le jugement attaqué en ce qu’il a statué sur la demande d’intervention volontaire dans la procédure, et, statuant à nouveau, rejette cette demande, et le confirme pour le surplus, et met les dépens à la charge de l’intervenante volontaire dans la procédure.