Une société ayant souscrit plusieurs prêts auprès d’un établissement bancaire pour financer un projet a introduit une action en justice après avoir relevé des erreurs dans l’étude financière réalisée par la banque. Elle a sollicité la nullité des contrats de prêt et de cautionnement, leur résiliation ainsi que des dommages-intérêts. La cour d’appel de commerce a examiné les moyens relatifs au dol, aux vices de procédure et à la résiliation des contrats.

Sur la question du dol, la cour rappelle que, conformément à l’article 306 du Code des obligations et contrats, la nullité pour dol suppose la réunion de manœuvres frauduleuses ayant déterminé le consentement. Elle considère que l’élaboration de l’étude financière par la banque ne constitue ni une réticence dolosive ni une manœuvre frauduleuse, la société ayant eu la possibilité de vérifier les données avant de contracter. Elle note également que la société, en tant que structure économique dotée de moyens d’expertise, aurait pu procéder à ses propres vérifications. En l’absence de preuve que les erreurs alléguées étaient intentionnelles et visaient à induire la société en erreur, la demande de nullité des contrats est rejetée.

Concernant les vices de procédure, la cour rejette le grief selon lequel les dossiers auraient été irrégulièrement joints, en relevant que rien ne permet d’établir une telle jonction, et que le fait que les jugements reposent sur des raisonnements similaires ne signifie pas qu’ils aient été formellement réunis. De plus, s’agissant de la demande d’audition de témoins, la cour précise que le tribunal n’est pas tenu d’ordonner une telle mesure lorsque les éléments du dossier permettent déjà de statuer. En particulier, la cour écarte la demande d’audition d’un témoin clé, en relevant que ce dernier était partie au litige et ne pouvait constituer une preuve en sa propre faveur.

S’agissant de la résiliation, la cour rappelle que l’article 259 du Code des obligations et contrats permet au créancier, en cas de défaillance du débiteur, soit de l’y contraindre, soit de solliciter la résolution du contrat avec dommages-intérêts. Elle constate que les contrats litigieux ont déjà fait l’objet d’un jugement définitif d’exécution, et que la société a déjà été condamnée au paiement des sommes dues. En conséquence, la demande de résiliation est jugée irrecevable.

Enfin, la cour confirme le jugement du tribunal de commerce de Casablanca, condamnant la société au paiement de 9 842 532,43 dirhams majorés des intérêts légaux, et rejette l’ensemble des prétentions relatives à la nullité, à la résiliation et aux dommages-intérêts.

La Cour d’appel

Attendu que les appelants fondent leur recours sur les moyens susmentionnés ;

Attendu, s’agissant du moyen tiré de la violation par le jugement définitif du jugement avant dire droit n° 1644, des articles 110 et 49 du Code de procédure civile, au motif que le tribunal aurait joint les deux dossiers sans respecter les procédures légales prévues par ces dispositions, ce qui aurait eu un impact négatif sur la décision de fond, que l’appelante ne produit aucun élément de preuve établissant que la juridiction de première instance aurait procédé à la jonction du dossier n° 2023/8220/2752 avec le dossier n° 2023/8220/7433. Le fait que ces affaires aient été jugées par un raisonnement similaire ne saurait suffire à prouver leur jonction. La jonction, en tant que fait matériel, doit être prouvée. En outre, le dossier n° 2023/8220/2752, introduit par la société P. contre la Banque « D. » aux fins d’obtenir la nullité des contrats conclus avec celle-ci, a fait l’objet d’un jugement n° 3399 en date du 21 mars 2024, rejetant la demande. Quant au dossier n° 2023/8220/7433, objet du présent appel, il a été tranché par un jugement distinct. Par ailleurs, même à supposer qu’une partie ait sollicité la jonction des deux affaires, le tribunal n’était pas tenu de faire droit à cette demande. Ce moyen n’étant pas fondé en droit, il doit être rejeté.

Attendu, s’agissant du moyen tiré des irrégularités ayant entaché l’instruction menée par la juridiction de première instance en date du 5 décembre 2023, l’appelante soutient que le tribunal aurait ignoré les points soulevés dans sa requête introductive et se serait limité aux moyens de défense des intimés. En outre, la juridiction aurait mis fin à l’instruction dès la déclaration de l’avocate des intimés selon laquelle les banques n’avaient pas l’intention d’accorder un prêt supérieur à 9 millions de dirhams, ajoutant que M. F. était libre de chercher un autre établissement pour financer son projet, alors qu’elle aurait dû poursuivre l’enquête et interroger le représentant des intimés. Toutefois, il ne résulte d’aucune pièce du dossier que les appelants auraient requis du juge de première instance, lors de l’instruction, d’interroger la banque intimée et que le juge s’y serait refusé. De plus, le tribunal n’est pas tenu de suivre les parties dans la formulation de ses questions. Dès lors qu’il lui est apparu que les points objet de l’instruction avaient été clarifiés, il lui appartenait pleinement d’y mettre fin. Ce moyen n’étant pas fondé, il doit être rejeté.

Attendu, s’agissant du moyen tiré d’une erreur d’application de la loi et d’un défaut de motivation, en ce que le tribunal aurait omis d’examiner de manière approfondie les preuves produites et de fournir une justification juridique adéquate, notamment en ne mentionnant pas, dans son exposé des faits et des motifs aux pages 15 et 16, les pièces établissant que l’intimée aurait pratiqué des manœuvres dolosives en matière de prêts en usant de réticence dolosive, que, conformément aux articles 52 et 53 du Code des obligations et contrats, le dol consiste en des manœuvres destinées à induire une personne en erreur et à la pousser à contracter. Or, l’appelante invoque le dol en se fondant sur l’étude financière du projet réalisée par la Banque, laquelle contenait des données inexactes, ainsi que sur le rapport d’expertise de M. Abdelaziz S.. Cependant, bien que ladite banque ait élaboré cette étude, l’appelante, en sa qualité de société anonyme au capital de 12 000 000,00 dirhams, disposait de moyens techniques pour en vérifier l’exactitude. De plus, l’évaluation de la rentabilité économique d’un projet relève exclusivement de l’initiative de son promoteur, s’agissant d’une décision de nature commerciale. L’appelante ne démontre pas que la banque a directement influencé ses choix économiques en l’incitant à contracter. Dès lors, les éléments constitutifs du dol, à savoir l’emploi de manœuvres frauduleuses destinées à tromper l’appelante et ayant déterminé son consentement, ainsi que la connaissance par la banque du caractère erroné des informations transmises, ne sont pas réunis en l’espèce. La seule élaboration par la banque de l’étude financière ne saurait constituer une réticence dolosive ni une tromperie, dès lors que la décision finale de signature des contrats appartenait à l’appelante, représentée par son mandataire légal, lequel a reconnu en audience avoir pris connaissance des clauses contractuelles et du projet avant de signer en toute connaissance de cause. En conséquence, le dol allégué n’est pas établi, les contrats de prêt ne sont entachés d’aucun vice du consentement et la demande de nullité fondée sur l’article 306 du Code des obligations et contrats est dénuée de fondement juridique. Ce moyen doit donc être rejeté.

Attendu, s’agissant du moyen tiré de l’atteinte aux règles de procédure résultant du refus d’audition des témoins sollicités, en particulier Noureddine F., qui aurait pu fournir des éléments décisifs quant au dol reproché à la banque, que, conformément à l’article 73 du Code de procédure civile, la juridiction dispose du pouvoir d’ordonner ou non l’audition de témoins si elle l’estime nécessaire à la solution du litige. En l’espèce, le tribunal a jugé que l’audition de Mohamed F. n’était pas requise, ce dernier étant partie à l’instance et ne pouvant se constituer preuve à lui-même. Dès lors, ce moyen est infondé et doit être rejeté.

Attendu, s’agissant du moyen tiré de l’erreur dans l’appréciation des faits, en ce que l’appelante soutient que la banque aurait pratiqué un dol par réticence en omettant de divulguer des informations essentielles et en manipulant les chiffres de l’étude financière, que, comme il a été précédemment exposé, les pièces versées au dossier ne démontrent pas l’existence d’une fraude. Il n’est pas établi que l’inexactitude des données contenues dans l’étude financière ait été l’unique et déterminant facteur ayant conduit l’appelante à contracter. Si la banque a un devoir d’information et de conseil vis-à-vis de son client, son manquement éventuel relève de la responsabilité contractuelle et non de la responsabilité délictuelle. Dès lors, les conditions d’annulation des contrats de prêt sur le fondement de l’article 311 du Code des obligations et contrats ne sont pas remplies. Ce moyen doit être rejeté.

Attendu, s’agissant du moyen tiré de l’omission par le tribunal de répondre à la demande de résiliation des contrats pour inexécution fautive et mauvaise foi du prêteur, que l’article 259 du Code des obligations et contrats prévoit que, si le débiteur est en demeure, le créancier peut demander l’exécution forcée ou, si celle-ci est impossible, la résiliation avec dommages-intérêts. En l’espèce, les contrats litigieux ont déjà donné lieu à une décision définitive condamnant l’appelante au paiement des sommes dues, avec intérêts légaux. En conséquence, la demande de résiliation est infondée et doit être rejetée.

Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement :
En la forme : Déclare l’appel recevable.
Au fond : Rejette l’appel et confirme le jugement entrepris, avec maintien des frais à la charge de l’appelante.