Réf
22107
Juridiction
Cour d'appel de commerce
Pays/Ville
Maroc/Casablanca
N° de décision
220
Date de décision
15/01/2015
N° de dossier
2669/8224/13
Type de décision
Arrêt
Mots clés
Violation de l’ordre public national (Non), Reconnaissance et exequatur d'une sentence arbitrale internationale, Extension de la clause compromissoire à un tiers non signataire, Exigence d'un écrit dans une convention d'arbitrage, Conditions
Base légale
Article(s) : 327-46 - Code de Procédure Civile (28 septembre 1974)
Source
Non publiée
Attendu que l’ordonnance attaquée a refusé l’exéquatur de la sentence arbitrale dans sa partie relative à l’extension de la clause compromissoire à Ynna Holding, aux motifs que l’extension porte atteinte à l’ordre public marocain et qu’il s’agit d’un acte nul justifiant le rejet de la demande à son égard et en se fondant sur le fait la loi applicable en vertu du contrat qui ne comporte aucune disposition autorisant l’extension à un tiers.
Mais attendu que la signification de l’ordre public dont le juge d’exéquatur est tenu de contrôler la violation, ne concerne en rien les lois et les règles qui ont été appliquées au litige par les arbitres ni avec les interprétations qu’ils en ont faites.
Que la notion d’ordre public est rattachée aux principes fondamentaux, qu’ils s’agissent de procédure ou de fond, figurant dans le système juridique du tribunal du lieu de l’exéquatur et de la reconnaissance et non des principes fondamentaux existants dans le pays de la loi applicable choisie par les parties, ou dans le pays du lieu d’exécution du contrat ou dans le pays du lieu de l’arbitrage ;
Attendu que la question qu’aurait dû se poser le juge d’exequatur, lors de la procédure d’exéquatur et de reconnaissance est la suivante :
La conséquence matérielle et tangible qui découle de la sentence arbitrale est-elle ou non contraire à l’ordre public?
Attendu qu’il est établit à l’échelle internationale que l’ordre public international ou national comprend :
– les principes fondamentaux relatifs à la justice et à la morale que l’Etat désire protéger
– les règles destinées à servir les intérêts politiques, sociaux ou économiques des pays qui sont communément dénommés « lois de police »
– les engagements internationaux que l’Etat doit respecter envers d’autres Etats ou envers les organisations internationales
– lequel le criminel tient le civil en l’état qui concerne l’ordre public national
Mais attendu que l’ordonnance attaquée n’a pas démontré en quoi la sentence arbitrale ayant ordonné l’extension de la clause compromissoire à la société Ynna Holding et aurait contrevenu à l’ordre public.
Qu’elle s’est contentée d’indiquer que la sentence arbitrale a fait application de la loi suisse, alors que cette loi ne comporte aucune disposition expresse autorisant l’extension de la clause compromissoire aux tiers
Que le juge de l’exequatur s’est fondé sur le droit suisse applicable au litige pour conclure à l’existence d’une violation de l’ordre public marocain, sans pour autant démontrer le lien entre le droit précité et l’ordre public marocain, Que ce faisant, il a outrepassé ses pouvoirs tels qu’ils ont été fixés par les dispositions de l’article 327-46 du Code de Procédure Civile de sorte que sa décision est mal fondée.
Attendu que les défenderesses ont allégué que l’extension d’une clause compromissoire à une personne non signataire et qui n’y a pas consentie constitue une violation de l’ordre public en raison du fait que la convention d’arbitrage doit être écrite et du principe de l’effet relatif du contrat.
Mais attendu que le code de procédure civile marocain dans sa section relative à l’arbitrage international n’a pas expressément exigé que la clause compromissoire soit écrite, contrairement à ce qui est prévu pour l’arbitrage interne pour lequel l’article 313 a énoncé que la convention d’arbitrage doit toujours être établie par écrit, sans pour autant spécifier de forme à l’écriture
Attendu en outre que la convention de New York à laquelle le Maroc a adhéré précise en son article 2 l’obligation d’établir la clause compromissoire par écrit, quelque soit la forme adoptée par la clause ou par le contrat qui la comporte ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que la clause compromissoire en l’espèce a été établie par écrit.
Que le litige ne porte pas sur l’établissement par écrit de la clause compromissoire mais sur la possibilité d’étendre la clause compromissoire à une partie non signataire, il porte notamment sur la discussion du principe de l’effet relatif des contrats en vertu duquel les conventions arbitrales ne peuvent engager que les personnes qui y étaient parties et ne peuvent nuire aux tiers compte tenu du principe général énoncé à l’article 228 du Dahir formant Code des Obligations et des Contrats.
Que la position dominante de la jurisprudence rendue en matière d’arbitrage international tend à distinguer entre la notion de l partie signataire de la convention d’arbitrage et la notion de partie à la procédure arbitrale,
Qu’elle est constante à considérer que l’extension de la clause compromissoire figurant dans l’acte conclu entre les parties, aux tiers non signataires du contrat, est admise toutes les fois où une condition essentielle est établie savoir la participation de ces personnes de manière effective à la conclusion, à l’exécution ou à la résiliation du contrat qui comporte la clause compromissoire ;
Que les commentateurs de la Convention de New York relative à l’exéquatur et la reconnaissance des sentences arbitrales internationales ont également admis la position précitée en ce qu’ils considèrent que l’exigence d’un écrit dans une convention d’arbitrage est indépendante de la question de déterminer les parties au litige arbitral, la première relève de la validité de la convention, alors que la seconde relève du fond du litige (consulter à cet effet, le guide du tribunal arbitral internationale CCI comportant les commentaires sur la convention de New York).
Qu’en effet lorsqu’il résulte des faits de la cause que des personnes n’ayant pas signé la clause compromissoire, ont toutefois joué un rôle dans la conclusion, l’exécution ou la résiliation du contrat comportant la clause compromissoire, elle devient partie effective au contrat elle devient concerner par celui-ci et par les litiges qui peuvent en découler .
Que la clause compromissoire lui est étendue sans que cela constitue une violation des règles et principes fondamentaux relatifs à l’ordre public international ou national et sans qu’elle porte atteinte à l’effet relatif des contrats ou à l’établissement par écrit de la clause compromissoire ;
Attendu que la position dominante tant à l’échelle des règles de l’arbitrage commercial international ou de la jurisprudence comparée, tend à s’écarter du principe de l’effet relatif de la convention d’arbitrage et la possibilité d’y apporter des exceptions,
Que cela est néanmoins conditionnée par :
– l’existence d’un groupe de sociétés, tel que c’est le cas en l’espèce, et à
– à la participation effective de la société mère ou d’une autre société autre que la société signataire du contrat, lors des négociations relatives au contrat litigieux ou sa participation active que ce soit lors de son exécution ou de son inexécution ;
Que l’extension de la clause compromissoire à une personne non signataire se justifie par son degré d’implication dans les négociations du contrat, sa conclusion et son exécution et non par le refus express de se soumettre au contrat ;
Qu’il echet ainsi d’écarter les moyens invoqués à ce titre.
Attendu que le contrôle du juge d’appel sur la compétence des arbitres pour étendre la clause compromissoire aux tiers non signataires s’étend à toutes les questions de fait ou de droit , ou aux parties et sur le fondement desquelles le tribunal arbitral a statué sur sa propre compétence et a décidé d’étendre la clause compromissoire ;
que le tribunal arbitral a fondé sa décision d’étendre la clause compromissoire aux circonstances ayant entouré la conclusion, l’exécution et la résiliation du contrat litigieux,
Qu’il a considéré que le contrat et les circonstances qui l’entourent constituent une unité économique complémentaire et a conclu que la clause compromissoire oblige également Ynna Holding en raison du rôle que celle-ci a joué dans le contrat dès lors qu’elle est apparue comme un acteur actif et principal dans ce contrat
Qu’elle devient ainsi concernée au premier degré par le contrat et les différends qui peuvent en découler, en se fondant sur la théorie de l’apparence prévue par le droit suisse en application de la théorie de l’abus de droit ;
Attendu qu’en effet, il appert des faits du litige tels qu’ils ont été évoqué dans la sentence arbitrale et des pièces produites au cours de la procédure arbitrale que :
– la société Ynna Asment a émis l’appel d’offre international pour la construction de la cimenterie dans
– a signé seule le contrat du 24/07/2008,
Mais attendu cependant que les décisions les plus importantes ont été prises par Ynna Holdind qu’il s’agissent de celles relatives :
– au projet (détermination de l’unité de production de l’usine à 5.000 tonnes par M. Miloud Chaabi en sa qualité de président du groupe),
– à l’exécution du contrat (telles que les négociations qui ont eu lieu avec la SFI au titre de la décision de sa participation à hauteur de 19% dans le capital de la société Ynna Asment avait lieu avec la société Ynna Holding en la personne de M. Omar Chaabi en sa qualité de vice président « correspondance du 12/02/2009 »)
– à la rupture du contrat ( l’intervention de M. Miloud Chaabi pour informer la BMCI le 23/03/2009 que Ynna Asment retire la garantie à première demande octroyée par la BNPP au profit de Fives FCB alors que cette correspondance n’a été adressé par Ynna Asment que le 08/06/2009 qu’il en découle que M. Miloud Chaabi en sa qualité de Président du groupe a pris la décision de retirer, pour le compte de Ynna Asment au lieu des organes de direction de cette société) n’ont pas été prises par les organes de directions de la société Ynna Asment et que ces derniers n’ont même pas été consultés, dès lors que Ynna Holding est apparue, par le biais de ses représentants, comme étant le responsable des décisions les plus importantes liées à cette société .
– aux demandes émanant des sociétés de financement (telles que Coface qui a exigé pour la garantie du projet la production des documents financiers et analytiques de la société Ynna Holding et d’autres sociétés qui lui sont affiliées) ( l’exigence par la société Coface de la participation de SFI dans le financement du capital de la société Ynna Asment),
il a été effectivement établi que Ynna Asment n’était pas en mesure à elle-seule de financer un projet de cette envergure (la valeur totale du contrat était fixé à 347.376.000 dh pour la partie interne et le montant de 13.200.000€ pour la partie export) et que cela est confirmé par les données relatives à la constitution récente de la société Ynna Asment (février 2007) et son manque de capacité financière dès lors qu’elle n’exerce aucune activité industrielle compte tenu du fait qu’elle a été constituée pour les besoins de l’investissement dans la cimenterie objet du litige arbitrale
Qu’ainsi cela démontre que la société Ynna Holding a également joué un rôle important dans la partie relative au financement du projet en adoptant l’apparence d’un soutien
Attendu en second lieu que que le contrat et les circonstances qui l’entourent constituent une unité économique complémentaire en raison :
– des réunions qui se tenaient au siège de la société Ynna Holding en présence de ses représentants légaux ( notamment la réunion du 11/9/2008 relative à la discussion surles moyens de financements proposés par les banques ; réunion du 23/12/2008 au siège de la société Ynna Holding en présence de ses représentants ;des représentants de Ynna Asment et de Fives FCB
– de l’absence de la société Ynna Asment dans le « film contractuel » , la société Ynna Holding étant l’instigateur des procédures , elle prenait les décisions ou du moins la plupart des décisions qui concernaient ce projet ou après l’avoir consulté , ce qui démontre son degré d’implication dans l’opération contractuelle.
Attendu ainsi que la sentence arbitrale a valablement et légalement motivée sa décision dès lors qu’elle s’est fondée sur un ensemble de preuves compte tenu des circonstances qui ont entouré la rédaction du contrat et ce qui y a précédé, pour conclure que la société Ynna Asment était seulement un simple instrument qui exprimait la volonté de la société mère et c’est ce qui a justifié l’extension de la clause compromissoire à son égard sur le fondement de la théorie de la transparence.
Attendu que ces éléments de faits et de droit sur lesquels s’est fondée la sentence arbitrale sont suffisants pour convaincre la Cour du rôle effectif occupé par Ynna Holding dans l’opération contractuelle comme unité économique et pour la considérer partie au litige arbitral,
Qu’il appert au vue de ce qui précède que l’ordonnance attaquée est mal fondée qu’il convient d’en prononcer l’infirmation et de statuer à nouveau pour ordonner la reconnaissance et l’exéquatur de la sentence arbitrale dans toutes ses dispositions à l’égard de la société Ynna Holding.